Par Alain Istamboulian, Restructuring Lead Advisor Zalis

 

 

Ad Augusta per Angusta ! (Vers les sommets par des chemins étroits)

 

 

Hausse des matières premières, de la main d’œuvre, de l’énergie, des taux d’intérêts…

 

À la veille de 2023, l’inflation sous-jacente amorcée en 2022 menace même les Business Modèles les plus performants. Faut-il baisser les bras pour autant ?

 

Force est de constater que l’évolution défavorable des prix des matières premières et de l’énergie, combinée au renchérissement de la main d’œuvre et des taux d’intérêts, en cette fin d’année 2022 a de quoi inquiéter les CFO et les investisseurs pour 2023.

Les premiers s’inquiètent pour l’établissement de leurs BP et de leurs cash forecasts et les seconds s’inquiètent pour la rentabilité de leurs capitaux investis ou à investir.

Si cette conjonction historique de mauvaises nouvelles doit être appréhendée avec beaucoup de réalisme comptable, la tentation du catastrophisme ne favorise pas l’émergence de solutions.

Il convient avant tout d’éviter les raisonnements simplistes et les généralités qui conduisent à des postures en déficit de discernement.

 

L’inflation des coûts de production et/ou des services n’a pas les mêmes répercussions sur tous les business modèles, dès lors qu’ils ne présentent pas tous la même rentabilité historique , la même flexibilité opérationnelle, le même degré de concurrence, la même capacité d’innovation technique, la même intensité capitalistique, la même solidité d’actionnariat , la même capacité à répercuter cette inflation des coûts sur le prix de vente etc..

La première réaction, face à l’accroissement des coûts de production, consiste à chiffrer l’impact immédiat sur la marge nette. Et il existe une grande différence entre ceux dont la perte de rentabilité préserve un minimum d’excess cash flow et ceux qui commencent à consommer du cash ; Dans ce deuxième cas, le temps s’accélère et alors les mesures à prendre sont plus urgentes et plus radicales.

Mais aucun CEO ne peut se résoudre à compter ses pertes sans s’interroger sur son Business Modèle de manière plus profonde , et les changements conjoncturels de fin 2022 sont d’une telle amplitude que même ceux dont la rentabilité était satisfaisante vont devoir se livrer à l’exercice.

 

Prenons l’exemple d’une activité présentant une rentabilité nette confortable de 10% :

Si cette activité est constituée de 30% de matières premières, de 30% de main d’œuvre et 10% d’énergie .. alors seule une inflation de 15% sur les matières premières , 8% sur la main d’œuvre et 15% sur l’énergie peut réduire cette même rentabilité nette à moins de 1,6% , ce qui devient insuffisant pour absorber la hausse des taux d’intérêt pour les investissements de renouvellement. (En cette fin d’année 2022 les hausses évoquées ci avant sont souvent plus prononcées)

Bien sûr ce calcul est un peu simpliste, mais il illustre à quel point la conjonction des facteurs d’inflation actuelle peut être brutale, d’autant qu’il est peu probable que ces facteurs évoluent favorablement à court terme tant ils dépendent de facteurs exogènes à notre politique intérieure.

 

Faut-il alors immédiatement revoir ses prix de vente à la hausse et alimenter ainsi la courbe inflationniste ?

Là encore il n’existe pas de réponse unanime : si le prix du pain que les français mangent en grande quantité, et dont la production ne peut pas être délocalisée peut supporter une augmentation de quelques centimes, ou que le prix de l’essence que personne ne pouvait imaginer au-delà de 2 euros /litres reste sans réelle alternative à ce jour pour les particuliers et les professionnels du transport, la situation est plus délicate pour les producteurs de biens industriels qui se battent sur un marché mondial ultra compétitif ou l’industrie du Retail qui se heurte au pouvoir d’achat des consommateurs pour les dépenses non essentielles.

Il ressort, en ce début 2023, que les business modèles doivent être repensés en profondeur pour comprendre quel marché est précisément adressé , à quelles attentes du consommateur répond chaque produit ou service, quelle est la sensibilité au prix bien sûr mais aussi comment se construit la chaîne de valeur ajoutée dans l’entreprise, quelle partie de cette chaîne de valeur peut être renforcée et davantage monétisée , quelle autre l’est beaucoup moins, quelle partie consomme des ressources humaines et financières et quelle autre en réclame un peu moins …

Chaque crise a le mérite de mettre les business modèles à l’épreuve de ceux de la concurrence, mais il y a, avant tout, des différences de postures managériales : les pessimistes ,dont la capacité d’adaptation et d’innovation est souvent moindre, répondront selon la bonne vieille formule populaire « Tout augmente  ! », mais ceux qui ont fait de l’adaptation permanente le crédo du management moderne réagiront en proposant « vous ne viendrez plus chez nous par hasard ! » ( vous reconnaîtrez là un slogan développé par une grande marque de produits pétroliers en 1991) .

 

Les premiers gèrent par les coûts et se contenteront d’augmenter leurs prix de vente (en assumant les conséquences) , les deuxièmes pensent en terme de création de valeur ajoutée distinctive et chercheront à se mettre à l’abri de la concurrence en renforçant la satisfaction du client.

 

Le seul arbitre au final reste le cash qui est toujours le maître des horloges : en période de crise aiguë il est impératif de réconcilier les approches comptables par les coûts et l’approche marketing par la valeur parce que toute mutation opérationnelle et commerciale demande du temps et des investissements.

C’est en combinant ces deux approches (Pragmatisme et Créativité) que les business modèles re-visités pourront voir le jour et continuer à créer de la valeur … jusqu’à la crise suivante.