Robert Lambert, Directeur Zalis Auvergne-Rhône-Alpes, exprime sa perspective sur la période actuelle.

 

Alors que la majorité des décideurs économiques et politiques semble convaincue que nous entrons dans une période d’énergie rare et chère, il est également possible de penser que nous sommes à l’orée d’une période d’énergie propre, abondante et bon marché.

 

La crise, propulsée par le coût de l’énergie, des matières premières, et les ruptures d’approvisionnement, frappe durement. Cependant, que constate-t-on déjà ? Les cours du pétrole à fin septembre sont presque revenus à des niveaux pré-crise (plus 8% par rapport à novembre 2021), sous le double effet de l’augmentation de la production hors Russie et du non-tarissement du flux russe, qui continue partiellement à atteindre les marchés par des voies détournées. L’approvisionnement en gaz sera plus compliqué à restaurer, les contraintes logistiques (méthaniers, ports, gazoducs) étant fortes, mais les ressources existent. C’est une affaire de temps. Le ralentissement économique fera baisser la consommation. De plus, les incitations et règlementations chercheront à limiter la consommation et, même si leur effet au départ est minime, elles auront un effet positif sur les marchés. Tous les éléments sont donc réunis pour que, dans un horizon de 18 mois à 2 ans, les niveaux de prix soient sensiblement revenus à des niveaux plus acceptables.

 

Passé cet horizon, les économies redémarreront plus ou moins vite en fonction de la situation Russo-Ukrainienne. Dans le cas d’une forme de « paix » actée, le robinet énergétique russe pourra fonctionner à plein, et fonctionnera d’autant plus que la Russie aura besoin de redévelopper son économie, pénalisée par les sanctions internationales. Il s’agit du scénario le plus favorable, avec une énergie abondante et des leviers supplémentaires de croissance tirés par la reconstruction. S’il n’y a pas une paix plus ou moins formelle, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la situation sera assez semblable à celle du premier scénario. Les « sanctions » vis-à-vis de la Russie sont essentiellement celles de l’Europe et des Etats-Unis. Le reste du monde – Chine, Inde, Afrique – est beaucoup plus neutre. Les circuits parallèles de l’énergie de la Russie vers le reste du monde s’amplifieront et se pérenniseront. Les besoins de rénovation de l’économie russe existeront toujours et passeront aussi par des circuits détournés. Donc, ce qui arriverait de façon ouverte et rapide dans le premier scénario, arrivera de façon plus lente et détournée dans le deuxième, avec des effets relativement semblables mais plus étalés dans le temps et la géographie…

 

Enfin, sur le long terme, à 10-15 ans, dans un univers décarboné, deux sources d’énergie seront prééminentes : le nucléaire et l’hydrogène. Aujourd’hui, on ne sait pas fabriquer l’hydrogène de façon massive et économique. La solution la plus prometteuse sera probablement de le fabriquer à partir d’électricité…nucléaire. Le nucléaire, largement contesté dans les pays occidentaux jusque très récemment, était en train de revenir en force avant la crise actuelle. Celle-ci balaye les derniers tabous. Le technologie EPR sur la base des expériences française et finnoise peut sembler hasardeuse… mais la Chine sur le site de Taishan a su lancer 2 réacteurs (Technologie Framatome) en 10 ans. 6 EPR sont programmés en France. Le gouvernement est en train d’étudier les procédures permettant d’accélérer leur construction. Rien n’interdit d’en planifier d’autres. La science et la technologie continuent de progresser. La surgénération pourrait permettre plusieurs milliers d’années d’approvisionnement avec l’uranium déjà stocké (article du Figaro du 26/09) et la start-up allemande MarvelFusion (https://marvelfusion.com ), partenaire de Thales et Siemens, annonce qu’elle pourrait commercialiser un réacteur à fusion en 2030, information relayée par la presse la plus sérieuse (Les Echos, Forbes…). Les technologies existantes permettent donc d’envisager sereinement les 20-30 prochaines années, et même s’il y a loin de la coupe aux lèvres, surgénération et fusion assureront les relais ultérieurs.

 

Cette crise, comme les précédentes, apportera son lot de victimes et de faillites… et chacun – dirigeants, gouvernants, citoyens – doit tout faire pour passer l’obstacle. Cependant, avec un peu d’optimisme et beaucoup de volonté, on peut considérer que l’on n’a jamais eu autant d’outils en main pour construire un futur serein en termes d’énergie.