La crise que traverse le tourisme en France est sans précédent. Christian Mantei a accepté de répondre aux questions de nos consultants.

Bonjour Christian Mantei, nous rappelons à nos lecteurs que vous avez été Directeur Général de Atout France puis Président du CA. Atout France est le GIE pour la promotion de la destination France à l’international. Vous participez en ce moment à de nombreuses réunions régionales, nationales et inter-ministérielles qui travaillent à la mise en place des mesures sanitaires et économiques pour relancer l’activité touristique de la France, une filière qui représente près de 10% du PIB français.

 

Notre première question porte sur les mesures gouvernementales annoncées récemment par le premier Ministre : à votre avis sont-elles suffisantes et vont-elles dans le bon sens?

« D’abord, il faut souligner à quel point l’Etat et le gouvernement soutiennent le secteur avec un plan massif d’un montant total de 18 milliards comprenant les fonds débloqués par la BPI et la Banque des Territoires. Pour en venir à l’intervention d’Edouard Philippe, elle a eu un effet immédiat : plusieurs secteurs touristiques ont déjà repris des couleurs, l’hôtellerie de plein air par exemple est à 80% du niveau de réservations par rapport à l’année dernière. Je cite le Président de la fédération “on vient de faire en 4 jours ce qu’on avait à peine engrangé en 44 jours…” Mais, d’autres secteurs comme les déplacements d’affaires et le MICE (Meeting, Incentive, Conference, Events) ne vont pas se rétablir rapidement hélas ! Ce qui est préoccupant quand on réalise que le MICE représente 12% de la fréquentation touristique et 25% de son chiffre d’affaires. Les déplacements d’affaires à Paris s’annoncent en net recul par rapport à l’année dernière et je crains que l’horizon reste bouché pour les réservations internationales pendant les six à douze mois à venir. »

 

Vous parlez des aides de l’Etat qui sont en effet massives, mais l’Etat ne peut pas tout faire…

« C’est évident !  L’investissement privé doit prendre le relais des aides publiques y compris celles des collectivités, le plus vite possible. Nous devons trouver rapidement des leviers de financement pour renforcer les fonds propres des entreprises et qui vont servir d’abord à reconstruire le secteur pour qu’il revienne à son niveau d’avant le COVID-19 et ensuite accompagner sa transformation. »

 

Nous sommes en Juin 2020, quel est le point de la situation ?

« Jean Baptiste Lemoyne, le Ministre en charge du tourisme, a été très actif pendant toute la période de confinement. Sous son leadership, nous avons organisé de nombreuses réunions régionales en visio et audio avec la participation des élus régionaux, des préfets et des entreprises. On comptait parfois jusqu’à une centaine de participants par session, donc nous avons été à l’écoute de beaucoup de monde… Nous constatons qu’il y a de nombreux sujets communs mais aussi des différences selon les régions. La baisse des recettes se situe entre 30 à 60% par rapport à l’année dernière. Au-delà des statistiques et des ratios, Il faut analyser territoire par territoire pour comprendre ce qui se passe et apporter des solutions au plus vite. Par exemple : l’assèchement brutal de toute activité touristique a mis à nu une myriade de TPE qui dépendent de ce secteur sans y être administrativement rattachées du fait de leur code APE.

Notre premier atout pour sortir de la crise, c’est d’avoir un marché domestique très important : la part de la clientèle française pendant la saison estivale est de 70%.  Tous les pays qui sont, comme nous, des destinations importantes n’ont pas forcément un tel marché refuge pour les soutenir. Nous pouvons donc compter sur la clientèle française pour la saison d’été dont le pic se situe du 20 juillet au 20 août et nous espérons une fréquentation en hausse durant l’arrière-saison qui commence en septembre et peut aller jusqu’aux vacances de la Toussaint. 

Notre deuxième atout, c’est l’ouverture des frontières européennes prévue pour la fin du mois de juin ou le début Juillet en fonction de l’évolution sanitaire et des accords entre pays…  La fréquentation des touristes européens reste un point d’interrogation. Elle dépendra beaucoup de leur confiance, donc de notre situation sanitaire et de nos protocoles. Pour les pays qui se trouvent au-delà de l’espace Schengen, je veux parler de marchés très importants pour le tourisme français comme l’Asie, les Emirats et les Etats-Unis, je ne vois pas la fréquentation repartir avant l’année prochaine. Les régions et les établissements qui accueillent une clientèle chinoise et japonaise seront impactées sur le long terme. Sont également en grande difficulté, les établissements de luxe comme les Palaces mais aussi les grands magasins qui réalisent 50% de leur chiffre d’affaires avec la clientèle asiatique… »

 

L’aérien semble le secteur le plus touché. Est-ce parce qu’il était déjà fragilisé avant la crise ou pour d’autres raisons ?

« Le transport aérien était vulnérable avant la crise du fait de son modèle économique tendu. La fermeture brutale des frontières a précipité la majorité des compagnies aériennes dans l’inconnu. Pourtant l’activité doit reprendre, il n’y a pas d’autres alternatives… Les transports sont indispensables à l’économie mondiale quel que soit le secteur d’activité.  Des questions se posent sur le modèle des low costs. Est-il est adapté dans un monde post-COVID-19 ou va t’il évoluer ? L’autre défi à moyen terme de l’aérien sera de rouvrir des grandes lignes entre l’Europe, l’Asie et le continent américain car elles sont les plus profitables. »

 

Quel avenir pour les tour-operators avec la fermeture des frontières ? Comment peuvent-ils tenir en attendant la reprise ? 

« La faillite de Thomas Cook et les difficultés de TUI, aujourd’hui soutenu par l’Etat allemand, datent d’avant la pandémie. C’est un marché qui était déjà très concurrentiel entre les TO et les OTAs (agences de voyages en ligne). Les indicateurs économiques récents montrent que ce sont les OTA et les plateformes de réservations qui ont pris l’avantage pendant la période de confinement.  Certains TO de niche misent sur la croissance d’un tourisme spécialisé et mieux intégré, je pense à Voyageur du Monde qui avait de très bons résultats avant la crise. Nous verrons apparaître aussi dans les semaines qui viennent de nouvelles offres très attractives pour doper le tourisme franco-français avec la forte implication – et c’est nouveau- des agents de voyage »

 

Le retour à une situation normale passera t’il obligatoirement par l’intégration d’un protocole sanitaire ?

« Pour restaurer la confiance des touristes et des employés des entreprises nous créons un “choc sanitaire”. On assiste déjà à la mise en place de protocoles sanitaires dans les parcs d’attraction comme le Puy du Fou dont je salue ici le leadership en la matière. Si certains gestes barrières comme le port du masque ne sont pas trop contraignants, d’autres le sont.  Je veux parler des tests obligatoires ou aléatoires à l’arrivée dans les aéroports et l’assignation en quatorzaine dans un hôtel. Nous allons mesurer l’attente sanitaire des touristes pour comprendre si la mise en place des protocoles est un argument de vente ou bien un frein. Moi je pense que c’est un argument… La majorité des professionnels du secteur pensent la même chose et ne ménagent pas leurs efforts dans ce sens. Ainsi, Sébastien Bazin, le Président d’Accor, travaille avec le ministère de la santé à l’élaboration et la validation de protocoles sanitaires dans l’hôtellerie… Beaucoup d’autres se mobilisent pour faire de la prévention du risque une véritable valeur ajoutée. Nous n’avons pas le choix, nous devons recréer la confiance pour redémarrer l’activité tout en évitant une nouvelle vague de la pandémie qui serait une catastrophe absolue. »

 

La crise peut-elle profiter à de nouvelles destinations ou à un nouveau genre de tourisme?

« Le tourisme est une économie de l’offre, cette crise sans précédent est une opportunité de repenser les offres et services de certaines filières. La forte croissance du tourisme avant le COVID-19 a été portée en grande partie par une clientèle urbaine qui allait dans les villes. Cette tendance va-t’ elle changer après la crise ?  Je pense que oui… Nous allons donner plus de sens à nos vacances et nos déplacements. Comment ? Les pistes que nous explorons incluent l’espace public, le développement durable, l’économie circulaire qui sont aussi les enjeux de la planète….Les destinations doivent se repositionner et construire leurs offres en tenant compte de ces valeurs, c’est le leadership de la France en matière de tourisme qui est en jeu. »

 

Propos recueillis par Frederick Buhr

Consultant senior Zalis