Par Florence Vanin, Directrice de Mission Transformation Zalis

 

Accompagner la transformation des organisations par l’humain : comment réussir sa trajectoire de changement ?

Un monde et des sociétés humaines en mutation : de l’expérience à l’apprentissage collectif de « l’intranquillité »

Lors de sa communication du 13 mai 2020, l’OMS prévenait que le nouveau coronavirus ne disparaîtra peut-être jamais. « Je pense qu’il importe d’être réaliste, et que nul ne peut prédire quand cette maladie disparaîtra » indiquait Mike Ryan, spécialiste des urgences sanitaires à l’OMS, rappelant que la rougeole est toujours présente dans le monde alors qu’un vaccin est disponible.

En ce début d’année 2021, nous continuons de faire l’expérience collective de cette période inédite de pandémie mondiale. Cette situation de crise sanitaire nous apprend que la transformation du vivant n’est plus une exception. Notre rapport au monde s’inscrit dans une trajectoire de changement en profondeur.  Serions-nous dans une nouvelle courbe d’apprentissage collective de « l’intranquillité » ?

La référence au néologisme, « l’intranquillité », que nous inspire la littérature du XXème siècle, est empruntée à l’œuvre singulière du poète et auteur portugais Fernando Pessoa. C’est une invitation à la réflexion et à la sensation du monde, comme un univers complexe qui confronte l’individu à la permanence du changement.

Et aussi, « l’intranquillité » nous incite à développer une conscience collective d’acceptation d’une nouvelle normalité, pour accueillir l’incertitude, avec le plus d’intelligence adaptative possible.

A l’échelle des entreprises, les communautés humaines sont aussi en mouvement.

 

« Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements ». Charles Darwin

 

Des organisations aussi en mutation et des collectifs humains fragilisés : dans ce contexte sociétal en crise, les entreprises doivent par conséquent s’adapter et se définir une nouvelle normalité

En période de crise, les organisations font face à des besoins de mutation. A l’échelle des collectifs humains des entreprises, se pose cette même question économique : comment survivre dans un monde VUCA et protéger l’humain ?

Cette question se pose pour les entreprises en difficulté, confrontées à des situations de crise majeures comme une rupture de trésorerie qui demande en urgence une stratégie de sauvetage et de restructuration financière, pour préserver l’emploi.

Comme elle se pose aussi pour les entreprises en bonne solidité financière, confrontées à des mutations profondes : transformation de métier, repositionnement stratégique, refonte du Business Model, innovation technologique, plateformisation des services dans un écosystème ouvert, transformation culturelle, digitalisation de la relation client, …Elles doivent s’adapter à de nouvelles contraintes, pour préserver leur capital humain.

Dans les deux cas, dans les stratégies de rebond comme de continuité de l’activité, prendre soin de l’humain est une nécessité pour réussir les mutations et rester en vie durablement.

 

L’importance de la prise en compte de l’humain pour accompagner les organisations en mutation

En matière de stratégie de conduite du changement, la prise en compte du facteur humain est incontournable dans la réussite de retournement ou de transformations d’entreprise.

Car quand le facteur humain n’est pas pris en compte dans des démarches d’accompagnement du changement, c’est 70 % des changements qui n’atteignent pas leurs objectifs.

« Dans les démarches de rebond, nous observons que si nous nous intéressons uniquement aux chiffres, nous pouvons priver l’organisation accompagnée d’une réelle reprise. Les chiffres sont importants, oui, mais seulement s’il y a un projet industriel en amont. Dans notre démarche d’accompagnement, la prise en compte de l’entreprise en difficulté, comme une organisation humaine qui a son histoire, sa culture et ses valeurs, fait toute la différence. Nous considérons avec attention son identité propre et le sens de sa raison d’être. », comme le souligne Daniel Cohen, Président et Fondateur du cabinet Zalis, spécialiste des entreprises en mutation.

 

Quelles sont les clés de réussite pour réussir l’accompagnement humain des transformations des organisations ?

 

« Dans la vie il n’y a pas de solutions ; il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent. Antoine de Saint-Exupéry

 

Face à un environnement en constante évolution, les entreprises doivent démontrer non seulement une résilience économique et opérationnelle voire des compétences socio-émotionnelles, mais aussi des capacités à s’adapter de manière agile et collaborative, tout en prenant soin de l’humain.

Sans être exhaustifs ici, nous partageons 6 facteurs clés de succès issus de notre expérience de l’accompagnement humain des organisations, auprès des dirigeants et de leurs équipes.

 

Première clé de réussite pour mettre les forces en marche : prendre le temps d’écouter le corps social et de poser le diagnostic des compétences et des capacités de l’organisation à changer.

Une approche innovante et humaniste est celle qui prend en compte l’organisation dans son entièreté, pour améliorer au final les performances des managers et de leurs équipes.

En matière d’écoute du corps social, les méthodes sont à adapter aux besoins et au contexte de complexité du changement : entretiens exploratoires ou baromètre du changement permettent d’identifier les freins et les résistances au changement des collaborateurs, comme les ressources et les énergies collectives pour initier la dynamique interne du changement.

En matière de diagnostic, c’est une approche holistique 360° qui prévaut, pour prendre en compte tant les impacts financiers, techniques, environnementaux que culturels, humains et sociaux des organisations en mutation. Comprendre la singularité de l’entreprise, dans son histoire, sa culture et ses valeurs est primordiale. Comme l’appréhender en tant que système humain en interactions et interdépendances relationnelles avec son environnement.

Et, pour identifier les risques du changement, il convient d’évaluer les caractéristiques du changement et les attributs organisationnels d’une entreprise à changer. Quelle est l’ampleur des efforts de changement, quelle est la maturité de l’organisation à changer ?

L’évaluation des caractéristiques du changement et des attributs organisationnels de l’entreprise constitue une base pour l’évaluation et l’identification des risques.

L’évaluation des caractéristiques du changement porte sur la portée globale du changement : les populations impactées ; la variation au niveau du groupe ou de l’impact selon les populations ; le type de changement (structurel, culturel, technologique,…) ; l’ampleur du changement (incrémentiel ou radical) par rapport à 12 facteurs d’évaluation comme les processus, les systèmes d’information, les fonctions et métiers, les structures organisationnelles, la rémunération, les modes de travail, …

L’évaluation des attributs organisationnels porte sur l’impact global du changement, dans sa dimension psychosociale : le besoin de changement perçu par les collaborateurs et les managers ; l’impact des changements passés sur les collaborateurs (expérience et comportements de résilience) ;  la capacité culturelle de changement de l’organisation (maturité organisationnelle, compréhension et acception de la nécessité de changement) ; le sens de la vision partagée ; le style de leadership et les compétences en conduite du changement au sein de l’organisation, …

Et pour compléter cette approche globale, notre expérience d’accompagnement des évolutions des organisations, nous fait aussi partager qu’en matière de trajectoire du changement, il y a trois dimensions à prendre en compte pour réussir : un Sponsorship fort du projet collectif de transformation, une démarche structurée de gestion de projet et un processus défini en conduite du changement. Pour cela, le diagnostic 360° comprend aussi :

  • L’évaluation du facteur leadership et Sponsorship du projet : y a-t-il un sponsor principal pour ce changement ? Quelle est sa capacité à établir une coalition de sponsorship pour le changement ?
  • L’évaluation du facteur gestion de projets :le changement est-il clairement défini ?  Le plan du projet a-t-il été intégré au plan de conduite du changement ?
  • L’évaluation du facteur gestion du changement : Une approche structurée de conduite du changement est-elle appliquée au projet ? Le changement et son impact sur l’entreprise ont-ils été évalués ? Des domaines de résistance possibles ont-ils été identifiés et des tactiques spéciales élaborées ? Des plans de conduite du changement, dont des plans de communication, de sponsorship, de coaching, de formation et des gestions des résistances, ont-ils été élaborés ?

 

Deuxième clé de réussite, faciliter l’alignement Tête, Cœur, Corps de l’organisation pour mettre en mouvement sa communauté humaine

 

« Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, votre message atteint son cœur ». Nelson Mandela

 

Une fois le diagnostic posé, pour initier la mise en mouvement de l’organisation, toute la pertinence d’une démarche de conduite du changement est de faciliter l’alignement de la TETE, du CŒUR et du CORPS de l’organisation, pour évoluer d’une situation donnée vers une situation cible désirée.

 

  • La tête qui pense, est l’émergence du leadership de la vision stratégique de l’entreprise, l’adhésion intellectuelle au projet collectif, l’appropriation et la prise de conscience du changement, et la compréhension du sens de la transformation.

 

  • Le cœur qui ressent, est l’émergence de l’adhésion émotionnelle du collectif de l’entreprise et la prise en compte de ses compétences socio-émotionnelles et de son expérience du changement (maturité au changement, capacité de résilience, ressources) et aussi la singularité de son patrimoine humain (identité, histoire, culture et valeurs).

 

  • Et enfin, le corps qui bouge, ce sont les capacités de mise en mouvement et d’engagement du corps social de l’entreprise, de mobilisation de l’intelligence collective, de circulation du leadership et des énergies collectives, pour avancer ensemble, en cohérence avec la vision partagée.

 

Troisième clé de réussite, donner du sens à la transformation dans le « nouveau normal »

Pour réussir cet alignement tête, cœur et corps de l’organisation sur son chemin de changement, renforcer le sens de la transformation est indispensable, en répondant au pourquoi le changement est nécessaire.

Parce que transformer ne se décrète pas, la communication est à la fois un accélérateur et un marqueur de la transformation en cours.

Comment faire concrètement ? Trois principes de base pour faciliter l’engagement du collectif humain de l’entreprise :

 

  • Donner du sens et faire résonnance, pour faire adhérer sa tête : la communication doit donner du sens au projet collectif de transformation et plus que cela de la résonnance pour atteindre son cœur.

 

  • Réaffirmer la raison d’être et la mission d’être de l’entreprise, pour faire adhérer son cœur : outil opérationnel de transformation, une raison d’être possède aussi une dimension politique. L’entreprise a à affirmer des convictions fortes pour incarner le sens de leur action, son utilité et ses engagements en termes de responsabilité sociale, environnementale et économique.

 

  • Définir une vision d’un futur désirable et durable, pour mettre en mouvement son corps: pour que chaque collaborateur puisse contribuer à construire les solutions les plus adaptées, viables, désirables et faisables, au service du bien commun de l’entreprise.

 

Quatrième clé de réussite, renforcer le rôle fondamental du manager dans un monde qui bouge

Dans des contextes sensibles de mutation, l’innovation managériale porte sur la nécessaire transformation de la posture managériale, pour piloter plus sereinement le changement et l’ajuster au contexte. Cela signifie concrètement la capacité managériale à :

  • Convertir son regard et son rapport au monde en permanence dans le changement,
  • Se préparer, dans la durée, aux démarches résilientes, en développant de la curiosité, de l’intuition, de l’observation, de l’écoute et de l’intelligence collective ;
  • S’appuyer sur la puissance de son intelligence adaptative ;
  • Être porteur de sens du projet collectif de transformation ;
  • Mettre en mouvement toute l’intelligence collective : écouter avec attention, parler avec intention, être bienveillant, se faire confiance, respecter le cadre ;
  • Evoluer vers une posture de manager coach, pour être une ressource pour ses équipes ;
  • Comprendre l’humain, les comportements et les émotions des individus comme des équipes confrontés au changement ;
  • Se donner la permission de l’échec pour mieux rebondir et réussir.

 

Cinquième clé de réussite, engager les collaborateurs dans le succès des projets de transformation

C’est toute l’importance ici des démarches participatives et de co-construction qui peuvent être proposées aux collaborateurs pour que les solutions émergent de l’intelligence collaborative et de la transversalité des métiers et des expertises. Elles facilitent l’appropriation, l’adhésion et l’engagement, quand les changements ont des impacts humains sur les usages des outils de gestion de la relation client par exemple, les pratiques des métiers ou encore les modes de travail vers plus d’agilité ou de responsabilisation.

 

Sixième clé de réussite, avancer et apprendre grâce aux retours d’expérience des changements

Quand tout un collectif avance en environnement flou et incertain, mettre en place des indicateurs porteurs de sens permet de sécuriser l’avancement et le cadencement vers le cap défini, voire de le redéfinir si nécessaire. Dans les bonnes pratiques, les indicateurs sont à co-construire collectivement. Il ne s’agit pas de rechercher à définir les indicateurs parfaits. Les plus pertinents sont les indicateurs de perception subjective et objectivable des équipes : des indicateurs de succès et d’échecs qui mettent l’organisation dans des boucles d’apprentissage vertueuses, enrichies de l’expérience collective du projet de transformation.

 

Se recentrer sur l’humain, une nécessité responsable dans un monde en mutations profondes

Dans des périodes de vécus collectifs d’un écosystème du vivant fortement fragilisé, les entreprises, comme acteurs économiques et sociales, sont aussi des espaces de transformation majeurs. C’est parce que nous vivons un temps présent particulièrement bousculé, que se recentrer sur l’humain dans l’accompagnement des évolutions des organisations n’est pas une option, ni des seules convictions de sens d’un métier d’accompagnateurs du changement, mais bien une nécessité humainement responsable.

Dans des périodes de vécus collectifs où l’écosystème du vivant est fortement fragilisé, les entreprises, comme acteurs économiques et sociales, sont aussi des espaces de transformation majeurs. C’est parce que nous vivons un temps présent particulièrement bousculé, que se recentrer sur l’humain dans l’accompagnement des évolutions des organisations n’est ni une option, ni des seules convictions humanistes, mais bien une nécessité responsable.

Ces temps d’incertitude invitent à l’élargissement du champ de conscience appliqué à soi, au groupe et au monde.

Tout l’enjeu du leadership du changement, est de trouver le bon équilibre entre la sécurisation de la trajectoire du changement et l’acception d’une navigation à vue pour faire avancer l’équipage.