La crise sanitaire, économique et sociale, engendrée par la pandémie du Covid-19,a mis un des principaux contributeurs à la croissance économique française à l’arrêt. Alors que d’ordinaire l’activité touristique génère 170 milliards d’euros de revenus annuels (plus de 7 % du PIB), les flux de visiteurs nationaux et internationaux se sont taris, coupant court à toute activité. L’Organisation Mondiale du Tourisme fait état de la plus grave crise que le tourisme international a traversé depuis le début des relevés en 1950 : un recul de 22 % pour le premier trimestre avec une projection à moins 60 % voire 80 %, sur l’année.

En France, la filière évolue depuis ces dernières années dans un environnement marqué par les turbulences : les attentats en 2015, le mouvement des gilets jaunes depuis 2018, les grèves des transports. Aujourd’hui, le Coronavirus qui frappe en plein début de saison menace les principaux secteurs d’activité du tourisme en France dont notamment l’Hôtellerie-Tourisme-Restauration (HRT), le transport et les agences de voyages.

Par ailleurs, le tissu économique touristique est inégalement dispersé sur le territoire ce qui provoque une concentration des effets sur des zones bien particulières. Il ne sera possible de dresser un bilan précis des dégâts, notamment sur l’emploi, qu’après le passage de la vague, il est d’ores et déjà possible de s’en faire une idée. Nous devrons attendre les prochaines éditions du Mémento du Tourisme publié par la Direction Générale des Entreprises pour avoir une étude consolidée, en attendant, intéressons-nous à la dernière édition : 2018.

L’impact de cette pandémie sur l’emploi dans ce secteur sera visible au travers de deux prismes que sont la segmentation des secteurs d’activité et la répartition régionale des effectifs salariés.

Un impact sur l’emploi dans de nombreux secteurs

Le tourisme englobe de nombreux secteurs réunis dans un compte satellite spécifique tant son rôle est prépondérant dans les grands domaines de la vie économique et sociale en France. En effet, le tourisme représente plus de 313 000 entreprises et plus de 2 millions d’emplois directs et indirects. Ces emplois sont, donc, tous impactés par le Coronavirus, mais à des degrés d’intensité différents en fonction de l’exposition à la pandémie des diverses activités de ce secteur. Les secteurs les plus menacés sont, évidemment, ceux qui concentrent un revenu annuel conséquent et un effectif salarié important ; à l’instar du secteur de la restauration qui comptait, à lui seul, plus de 290 000 emplois en 2017 (Restauration traditionnelle, Cafétérias et autres libres-services, Restauration de type rapide et débits de boisson).

Par ailleurs, nous pouvons, dès à présent, constater certains dégâts qui ont affecté plusieurs secteurs se rapportant au tourisme tel que l’hébergement. Le groupe Accor, ayant vu son chiffre d’affaires reculer de 16% au premier trimestre, a été contraint de fermer deux tiers de ses hôtels conduisant à un plan massif de licenciements de 200 000 collaborateurs en France et au niveau mondial, ou qui se sont retrouvés dans le meilleur des cas en chômage partiel.

Les activités de loisirs ne sont pas épargnées, Disneyland Paris a mis fin aux contrats de 350 intermittents. Il est à noter, enfin, que le secteur du transport a sévèrement pâti du confinement et de l’interdiction de déplacements. Les compagnies aériennes annoncent des plans sociaux vertigineux allant jusqu’à 12 000 suppressions d’emplois chez British Airways. Pour ce qui est d’Air France-KLM, si l’entreprise table sur des départs volontaires au niveau du groupe, sa filiale HOP (vols intérieurs) a annoncé que 2 700 salariés seront « traités et accompagnés » entre 2021 et 2023.

Une concentration régionale accentuant localement le risque

La probabilité d’un impact sur les emplois est inégalement répartie sur le territoire. Des régions risquent d’être fortement sinistrées à l’instar de l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur qui affichent 54% d’emplois salariés liés aux secteurs d’activité du tourisme. L’’Île-de-France à elle seule rassemble plus de 420 000 emplois dans ces secteurs d’activité, soit 9% de l’emploi total de la région.

Il apparaît, donc clairement, que les territoires métropolitains sont frappés inégalement en fonction de la dépendance de leur économie au tourisme. Mais si cette perspective est déjà plus qu’inquiétante, le cas des Collectivités d’Outre-mer et de la Corse est alarmant.

En Polynésie française, la part des secteurs d’activité du tourisme dans l’ensemble des emplois salariés avoisine 30%. Derrière ce nombre, ce sont 10 500 entreprises embauchant 15 000 à 20 000 habitants qui sont menacées dans une économie locale où les dépenses de consommation touristique intérieure (CIT) représentant 33% du PIB (contre 7,4% sur le plan national).

La Corse quant à elle voit son tissu économique insulaire mis en danger d’après le Rapport de suivi du plan de déconfinement de l’île. Alors que d’une part, 22 % de la fréquentation annuelle de l’île est réalisée sur cette période (mars à juin), et que d’autre part, la dépense touristique globale représente 3 180 millions d’euros, le rapport fait état sur l’avant-saison d’un manque à gagner compris entre 650 et 800 millions d’euros.

Des mesures prises pour éviter le pire :

Si le tableau parait bien sombre, en particulier pour les collaborateurs les plus précaires du secteur du tourisme : intermittents du spectacle, travailleurs saisonniers et étudiants (jobs d’été), il aurait pu l’être beaucoup plus sans les mesures gouvernementales prises en urgence. Les 2 millions d’emplois de l’industrie touristique française ont pu compter, dès les premières heures de la crise, sur le dispositif de chômage partiel massif parmi « le plus protecteur en Europe et sans doute au monde » d’après la Ministre Pénicaud.

Pour permettre une relance rapide, des moyens innovants viennent compléter l’aide gouvernementale. Georges Rudas, Président de l’Institut du Tourisme Français et Membre du Comité de filière Tourisme au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, a annoncé la création d’une plateforme de mise en relation pour les saisonniers qui sera disponible fin juin et qui doit permettre la centralisation des offres (dont Pôle Emploi).

Le Comité interministériel du tourisme a par ailleurs pris des engagements forts le 14 mai dernier. Ces mesures s’inscrivent dans la durée avec 18 milliards d’euros mobilisés pour :

  • prolonger l’activité partielle jusqu’à fin 2020 pour toutes les entreprises du tourisme et de l’événementiel ;
  • mettre en œuvre un plan de relance Tourisme (BPI france & Banque des Territoires) de 3 milliards d’euros jusqu’en 2023 sous forme de prêts et d’investissements en fonds propres ;
  • donner accès aux fonds de solidarité jusqu’à fin septembre 2020 pour les entreprises du secteur des cafés-hôtels-restaurants, du tourisme, de l’événementiel, du sport & de la culture ;
  • réhausser le plafond journalier des tickets-restaurants à 38 euros par jour, y compris les week-ends et les jours fériés jusqu’à fin 2020.

Dans cette gestion de la crise, la Ministre du travail assure vouloir bâtir et négocier des accords dans une logique gagnant-gagnant entre les entreprises, les salariés et l’Etat. À l’heure d’une opération inédite de sauvetage, il convient de s’interroger sur les prises de conscience qui résulteront de cette crise : un « retour à la normale » aura-t-il lieu ? l’offre touristique va-t-elle davantage inclure la dimension écologique ? la consommation va-t-elle se relocaliser ?

 

Jean-Baptiste Barthelemy

Bureau d’étude Zalis.