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Par Jean-François Habert, Expert Zalis dans la direction financière des entreprises. Ex-directeur financier groupe Sodexo.

 

Les mesures annoncées par le Président de la République lundi 17 mars, pour rassurer et pour fluidifier les circuits financiers ont fortement frappé l’opinion tant par la vigueur de l’effort annoncé (300 Mds€ de garantie des emprunts, 45 mds€ d’aides à l’économie), que par la nature des leviers mis en œuvre (incluant pour certains le rééchelonnement des échéances d’emprunt et de loyer).

En effet, force est de constater que le premier réflexe de nombre de chefs d’Entreprise a été de suspendre les paiements, pour sanctuariser la trésorerie existante, assurer le paiement des salaires et faire face aux imprévus impérieux.

Dans cette situation inédite, quels conseils peut-on donner aux Dirigeants d’Entreprises confrontés à des difficultés présentes bien réelles, mais également à la nécessité de se projeter dans l’avenir et au besoin d’anticiper la sortie de crise, en matière de gestion de Trésorerie ?

Tout d’abord, il convient de distinguer plusieurs phases dans la prise de conscience de la crise aigüe que nous traversons :

1 / Une première phase que nous qualifierons de « réflexe » ou « d’état de choc » à laquelle nous assistons : elle consiste à « tout couper », et à mettre l’Entreprise en mode « survie ». Cette première réponse des Chefs d’Entreprise est autant compréhensible du fait de l’incertitude générée par cette crise, que non soutenable car l’économie ne peut rester bloquée :

Dans cette phase, il convient essentiellement de communiquer les mesures conservatoires de première urgence :

  • Informer les Fournisseurs et Créanciers, maintenir un contact avec ces derniers et dresser un état de situation réciproque et les conditions à rediscuter ;
  • Informer les Banques de la suspension de certains paiements pour négocier un nouvel échéancier ;

-  Annuler par prudence les engagements qui peuvent l’être, mettre l’Entreprise en mode « survie », par l’instauration d’un chômage partiel, par exemple ;

- Utiliser dans un premier temps l’ensemble des facilités accordées par l’Administration, qui ne sont pas sujettes à demande spécifique ou à « négociation ».

2 / Une seconde phase de reprise sélective des paiements, nécessaire au déblocage de la situation doit être envisagée à court terme. La batterie de mesures gouvernementales a pour mission de fluidifier et de faciliter l’entrée dans cette seconde phase.

C’est ici que la décision du Dirigeant doit être éclairée. Il lui faut répondre en effet à deux questions : quelles aides demander ? et quels paiements effectuer ?

La réponse à ces deux questions passe nécessairement par un exercice de projection financière 2020 (compte de résultat et trésorerie au mois le mois) en fonction de deux paramètres majeurs :  la durée de la crise et l’intensité de ses effets sur l’Entreprise.

Cet exercice s’avère d’autant plus indispensable qu’il sera demandé par les Banques ou la BPI en appui des demandes de nouveaux concours ou leurs révisions.

Nos recommandations sont là aussi dictées par le bon sens :

  • Prendre des hypothèses raisonnablement pessimistes, afin de justifier par excès plutôt que par défaut les concours bancaires demandés ;
  • Prévoir le paiement des Fournisseurs, des Impôts et cotisations selon un mode de fonctionnement normal, les concours financiers étant précisément justifiés par un retour aux pratiques courantes en matière de vie économique ;
  • Considérer le paiement des échéances gelées dès que l’entreprise sera en capacité de le faire, afin de justifier la permanence maximale des concours financiers ;
  • Prendre en compte un délai suffisant (2 mois ?) pour le remboursement par l’Etat du chômage partiel avancé dans les salaires ;
  • Repousser les investissements qui peuvent l’être sans préjudice financier direct pour l’entreprise.

 

En pratique, nous conseillons :

  • De recourir dans un second temps, et dès que possible, à la mise en place de lignes de crédits bancaires dans le cadre des mesures de soutien annoncées ;
  • D’informer les débiteurs quant au plan de paiement envisagé pour eux, et de solliciter la même information de nos Créanciers ;
  • De conserver quoi qu’il arrive un volant de liquidités suffisant pour assurer le paiement des salaires, et faire face aux imprévus.

3 / La troisième phase est celle du retour progressif à une situation normale d’avant crise, avec la régularisation des flux financiers en montant et en délai ; l’entreprise commence à générer à nouveau du cash. Une attention particulière doit être portée dans la modélisation de cette phase si les marchés sur lesquels opère l’entreprise sont durablement bouleversés.

La plupart des Entreprises aborderont cette phase avec des bilans significativement dégradés par rapport à l’avant-crise, avec notamment une augmentation significative des dettes commerciales, sociales, fiscales et financières.

L’enjeu de cette troisième phase sera de faire face à cet endettement, et de ne pas mettre en péril l’entreprise par les décisions prises.

Il convient en effet de rappeler que, à l’exception de situations très particulières, l’ensemble des dispositions prises sont des aménagements financiers sous forme de prêts remboursables ou de délais de paiement. La prudence incite donc à ne pas anticiper des abandons de charges (notamment en ce qui concerne les loyers des commerces de détail, les bailleurs privés défendant énergiquement leurs intérêts…). Les exonérations définitives de charges, si elles sont probables, ne concerneront que des cas probablement limités et dûment justifiés.

Il faudra conserver dans votre prévisionnel de trésorerie les concours bancaires exceptionnels ou les reports de paiement d’échéances ayant vocation à être remboursés.

Enfin, il nous semble utile d’attirer l’attention sur la nécessaire cohérence entre les demandes formulées par l’Entreprise et la situation réelle de cette dernière, tant sur le plan financier que patrimonial :

  • Les reports de paiements des contributions obligatoires, et, a fortiori, les demandes d’exonération de charges doivent être justifiées par un état de nécessité ;
  • Le paiement de dividendes nous paraît notamment incompatible avec des demandes d’exonération de charges fiscales ou sociales.

 

En conclusion, et plus que jamais en temps de crise, une gestion efficiente des liquidités est l’ « assurance-vie » de l’Entreprise.

Passé le moment initial de stupeur bien compréhensible, les mots-clés dans la gestion de la Trésorerie doivent être l’information, l’anticipation et la raison.

  • L’information, qui doit être bilatérale, car toute décision doit être prise en connaissance de cause, mais dans le respect des intérêts des partenaires de l’Entreprise ;
  • L’anticipation pour ne pas subir des événements plus graves, et rassurer les parties prenantes, en particulier les clients et les salariés ;
  • La raison, par le refus des positions extrêmes (blocage des paiements en phase 2, non anticipation des remboursements des passifs en phase 3…) qui ne peuvent qu’aggraver le blocage économique.

 

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