Extrait du livre de Frederick Buhr « La Culture Digitale, moteur de la transformation ».

 

Au cours des dix dernières années, nous avons constaté que les entreprises ont déployé leurs stratégies numériques d’une manière, somme toute, très conventionnelle. Tout d’abord, en essayant de s’organiser autour de problèmes existants et notamment, en faisant un bilan de compétences autour des sujets cruciaux du digital : (e-commerce, e-marketing, omnicanalité etc…). Mais, si se poser la question « Comment peut-on faire les choses autrement ? » peut livrer de précieux enseignements, y répondre ne garantit pas d’anticiper la prochaine disruption.

 

Après 2010, quand les effets négatifs de la grande récession sur l’économie mondiale ont commencé à s’estomper, on a constaté que les entreprises qui avaient su résister à la crise étaient les pure players. C’est-à-dire les sociétés dont les produits, les canaux de distribution et les modèles financiers étaient en symbiose avec le digital.

 

Les autres, qui tentaient vainement de s’organiser, en ont conclu que les acteurs  travaillant  pour ces pure players devaient certainement avoir une connaissance plus subtile dans ce domaine ! La chasse aux talents digitaux a été ouverte... Les sociétés ont alors embauché des talents avec les compétences requises pour définir leur  stratégie, négocier les budgets et manager leurs équipes. On a, à ce moment, assisté à la période de l'arrivée du messie, sous la forme d’un(e) CDO (Chief Digital Officer) ou Directeur du digital, souvent débauché(e)s à prix d’or, qui se devaient d'accomplir et d'enchaîner des miracles… c’est-à-dire multiplier les petits pains numériques sous l’admiration béate des dirigeants et des salariés.

Puis le temps a passé et cette stratégie ne payant pas de dividendes, le diagnostic est tombé :

  • Le CDO est une femme ou un homme bien isolé(e). Général sans régiment, elle ou il doit déployer des trésors de patience pour convaincre les chefs, casser les silos et faire bouger les choses.
  • Ce sont des transplants d’un autre monde, qui n’ont que peu d’intérêt pour la culture existante de l’entreprise.
  • L’entreprise n’a toujours pas le socle nécessaire pour absorber la transformation et livrer la stratégie.
  • Il faut d’abord investir dans une longue liste de technologies, puis dans la formation des équipes aux nouveaux outils.
  • Confier un projet aussi important à une seule personne ou un seul département s'avère parfois stupide...

 

Il faut alors voir plus largement à l’échelle de l’entreprise toute entière.

Convaincus du bien-fondé de cette nouvelle analyse et pour rattraper leur retard, les dirigeants enclenchent alors la phase suivante à tous les niveaux de l'organisation. Après une grande messe où l’on remercie le CDO pour ses valeureux efforts, on dévoile en « franglais » le nouveau plan d’action. En quelques semaines, tout le monde est subitement submergé par un tsunami numérique ! Ordinateurs, tablettes et smartphones répandent en continu un déluge d'e-mails et de textos.

Les jours calmes, on compte plus d’une dizaine de tâches à faire sur le champ ; deux ou trois vidéo conférences à planifier ; une ou deux réunions à préparer impérativement en utilisant des applications de communication interne synchronisées avec les logiciels de gestion de projets à travers des apps d’automatisation. Jour après jour, ces trombes d'impératifs multiformes et infinis se déversent du nuage numérique et engloutissent la moindre minute d’une longue journée sans que les employés puissent espérer que cette mousson infernale stoppe une fois rentrés chez eux.

Résultat ? Des employés épuisés physiquement et mentalement qui quittent l'entreprise ou qui deviennent indifférents, détachés de leur travail, voire résistants au changement.

Et ce n’est pas étonnant d'ailleurs qu’une étude Microsoft, conduite en Europe en janvier 2018, révèle qu’un flot constant de signaux numériques réduisait la productivité sur le lieu de travail.

Microsoft ne déclare pas que la technologie réduit la productivité dans tous les cas, ce serait se tirer une balle dans le pied. En fait, l'impact de la technologie sur la productivité dépend largement de la culture de l'entreprise. Celles qui ont une "culture numérique forte", ont vu des gains de productivité liés à la technologie, tandis que les autres, à  "culture numérique faible" selon Microsoft, ont régressé en matière de productivité.

Les détails de cette enquête sont très intéressants : dans les entreprises européennes possédant une forte culture numérique, 22% des employés se sentent très productifs et seulement 5% se déclarent improductifs. Dans les entreprises avec une faible culture numérique, 12% se déclarent très productifs et 21% totalement improductifs.

Cette étude révèle également que la culture numérique a un impact symptomatique sur la façon dont les nouvelles technologies modifient l’engagement des employés. Dans les entreprises dotées d’une forte culture numérique, l'utilisation accrue de la technologie a stimulé l’intérêt des employés pour leurs missions, amélioré leur concentration et la priorisation des tâches.

Dans les entreprises avec une faible culture numérique, c’est l’inverse : plus l'entreprise déploie de nouveaux outils, plus les employés se sentent impuissants et détachés de leurs tâches.

On peut saluer le courage de Microsoft de financer, puis de publier ce genre d’études qui tranchent avec la grande majorité des articles qui vantent l'impact positif de la technologie et surtout l'avantage d'une solution particulière pour résoudre les problèmes. Comment en serait-il autrement ? Ces articles sont écrits directement ou indirectement par des fournisseurs de solutions.

Aucune technologie ne peut créer ex-nihilo de la culture numérique ou digitale, au contraire le risque est que cette technologie détruise plus qu’elle n’apporte.

Mais, revenons à notre brève histoire de la transformation.  Deux exercices comptables sont maintenant passés. La stratégie digitale de l’entreprise n’a toujours pas payé de dividendes ou si peu qu’ils ont l’air de coquilles sur les présentations Powerpoint. Lors d’une réunion, dans l’abattement général, quelqu’un risque. “Nos employés sont trop âgés, ils ne peuvent plus s’adapter…”.  La phrase est lâchée. Au début, elle fait un peu peur, car il y a beaucoup de cheveux gris autour de la table  qui demandent encore à leurs enfants comment envoyer des messages instantanés ou commander sur Amazon. Un terrain peut-il être fertile s’il est rempli avec des racines de vieux arbres ?

La tentation d’insuffler un sang neuf devient trop forte. Consciente de jouer son va-tout, la direction autorise un grand bouleversement qui sera sa dernière mauvaise décision : les employés âgés sont mis au rancart pour faire place nette aux jeunes natifs du numérique et leurs précieux pouvoirs surnaturels à utiliser la technologie et donc forcément, à réussir la stratégie numérique.

Encore loupé ! Le type de culture numérique que les jeunes générations apportent à l’entreprise est au mieux inadapté, au pire en conflit avec sa politique interne.

Prenez par exemple l'image ci-dessus. C’est un “Meme” (prononcez : miːm /) qui est l’une des façons utilisées par les natifs digitaux pour commenter un évènement, échanger des idées et exprimer leurs opinions sur tous les types de sujets, y compris professionnels. Regarder et partager des vidéos, produire des Memes, enrichir puis poster des photos sur Instagram sont des comportements tout à fait "digitaux"... Ces images détournées sont créatives et amusantes, mais imaginons qu’un collègue, un client ou un fournisseur reçoive ce Meme dans un email professionnel ... Certains d’entre nous n’ont pas à l’imaginer, car nous l’avons déjà vécu…

Le gros problème de la culture digitale native, à base de jeux vidéo, d’emoji et de photos de chatons, c’est qu’elle n’est pas productive.

Elle ne sera d’aucun usage pour relancer une transformation digitale qui fait du sur-place. Alors, après tant de faux-départs que faire ? La réponse est d'une simplicité désarmante :

"Commencer par développer une forte culture digitale au sein de l’entreprise"

 

….à suivre…