Par Jean-François Habert, Expert Zalis en finance et trésorerie

 

122 Milliards d’Euros…C’est le montant des prêts accordés aux Entreprises qui en ont fait la demande (ou plutôt aux 90 % qui ont obtenu une réponse positive selon les syndicats patronaux) pour faire face à un arrêt total ou partiel de leur activité à l’occasion de la crise sanitaire, en sus des mesures de chômage partiel, de suspension des remboursements d’emprunts et de mesures d’assouplissement touchant les échéanciers sociaux et fiscaux.

Si cette avalanche de mesures a rempli son objectif premier, c’est-à-dire éviter des dépôts de bilan massifs et mortifères pour notre économie, se pose inévitablement la question du dénouement de cette situation, à savoir le paiement des dettes remises ou créées dans ces circonstances exceptionnelles.

 

2 points de vue sont à prendre en considération : celui des Entreprises (quand et comment rembourser ?), et celui de l’Etat-Prêteur et Garant au travers du réseau bancaire et de la BPI (comment se sortir de ce guêpier ?).

 

Nous nous proposons d’évoquer rapidement le premier sujet, traité par ailleurs, avant d’aborder la seconde question.

Pour les Entreprises, et particulièrement pour le demi-million de TPE bénéficiaires de 48 milliards d’Euros, il est clair que l’utilisation du PGE obéit à une première et radicale alternative : elle est soit contrainte[1], soit pour tout ou partie discrétionnaire. C’est naturellement cette dernière strate qui nous intéresse ici.

Le Dirigeant devra schématiquement choisir entre 3 options : rembourser, conserver, ou investir. Rembourser constitue de toute évidence la solution par défaut ; conserver[2]  est une solution prudente, mais passive; investir apparaît naturellement comme la solution la plus pertinente, une fois assurée la sécurité financière à court terme de l’Entreprise, pour créer ou accroître les capacités de remboursement des échéances à venir, et surtout, pour transformer l’épreuve de la crise sanitaire en opportunité de se développer, notamment par la reprise des activités des concurrents victimes de celle-ci. Il faudra cependant garder en tête au moment de décider, le coût réel du PGE qui pourra atteindre 4 %/an assurance incluse.

 

Pour l’Etat, la situation apparaît problématique :

Il faut impérativement limiter les risques de défaut, estimés de façon très optimiste dans la fourchette de 5 à 6 milliards d’Euros, alors que les Britanniques, dans le cadre d’un système certes moins encadré, envisagent un chiffre 5 fois supérieur. Un simple calcul montre que, pour rembourser un emprunt égal à 25 % du CA sur 5 ans, il faut un free cash-flow de 5 %, ce qui est loin d’être une formalité pour nombre de débiteurs…

Si l’on veut éviter une cascade de défaut, il faut impérativement mettre en place un mécanisme de conversion de ces créances en fonds propres ou quasi-fonds propres, c’est dans cette voie que le gouvernement souhaite, à juste titre, s’engager.

Cependant, l’Etat n’a nulle vocation à s’inviter au tour de table de milliers de TPE ou PME, pas plus que la BPI, il faut donc se tourner vers une solution de quasi-fonds propres qui reste à définir dans sa forme, ses modalités et sa gestion.

Enfin se pose un problème de financement : pour limiter la création de monnaie et l’engagement de l’Etat en tant que garant, il conviendrait de trouver une solution de refinancement de ces concours appelés à être pérennisés, et, à ce propos, il serait plus que tentant d’essayer de flécher une partie des 80 à 100 milliards d’Euros épargnés par les ménages aisés vers le financement de ceux-ci.

 

La proposition de loi numéro 3366 présentée par 6 députés en date du 29 septembre amorce un début de solution en disposant que les fonds versés dans le cadre du PGE « peuvent être transformés en quasi fonds propres, sur demande de l’Emprunteur », « dans la limite d’un encours total de 100 milliards d’euros ».

 

Nos 6 députés se contentent de stipuler que « les demandes de transformation en quasi fonds propres doivent répondre à un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de l’économie. »

Fort de l’élan apporté par le Législateur, essayons d’esquisser les éléments d’un cahier des charges.

    • S’agissant de la forme de ces quasi-fonds propres, la solution d’une conversion en obligations classiques ou convertibles nous semble peu réaliste : étaler sur 10 ans une dette sur 5 ans n’empêchera pas un taux de défaut très important. Par ailleurs, il est impensable d’envisager les modalités de conversion d’une myriade d’Entreprises non cotées, la plupart du temps peu capitalisées, et, qui plus est, sans en prendre le contrôle majoritaire.

Il nous semble que la conversion des prêts en obligations perpétuelles, portant un intérêt de 3 ou 4 points supérieurs aux obligations d’Etat à 10 ans, et remboursables à la latitude du Dirigeant ou en cas de cession du Fonds de Commerce soit une solution pertinente, ménageant à la fois la trésorerie des Entreprises, les intérêts des prêteurs et encourageant à un remboursement rapide, mais maîtrisé.

    • La gestion de ces obligations perpétuelles pourrait être laissée à la sous-traitance des réseaux bancaires, qui assureraient contre rémunération les opérations de « back office », somme toute extrêmement simples : appel et encaissement des agios et interface administrativo-commerciale.
    • En ce qui concerne l’identité des Créanciers, cette simple consolidation des PGE pourrait très bien s’opérer dans un premier temps par transfert des créances dans le Bilan de la BPI. Dans un second temps, ces portefeuilles d’obligations perpétuelles pourraient être cédées à des véhicules d’investissement existant ou à créer :
    • Ils pourraient doper les rendements des supports d’assurance-vie ;
    • Ils pourraient être proposés à des Fonds d’Investissement existants, ces fonds ayant toute latitude pour accompagner en fonds propres les Entreprises du portefeuille obligataire détenu ;
    • Ils pourraient être cédés à des fonds d’investissement ad hoc, ouverts à l’Epargne publique, avec transfert de la garantie de l’Etat, moyennant une incitation fiscale propre à attirer l’épargne accumulée pendant la crise sanitaire.

 

En conclusion, l’avenir du PGE pourrait passer par la conversion de ceux-ci en obligations perpétuelles.  Cette conversion serait une solution simple et efficace dans l’atteinte des objectifs visés :

 

    • la pérennisation de nos Entreprises et l’incitation de celles-ci à investir et à se développer,
    • la défense des intérêts de l’Etat par la limitation des défauts et le possible transfert des portefeuilles de créances vers l’Epargne privée, permettant ainsi d’éponger une partie de la dette publique née de la crise sanitaire par l’épargne qu’elle a parallèlement générée.

 

[1] selon une enquête du Syndicat des Indépendants, 27 % des allocataires TPE aurait consommé la totalité de leur PGE au 13 octobre pour couvrir charges d’exploitation et dettes financières

[2] solution choisie par 71% des Entrepreneurs selon l’étude citée ci-avant