Par Daniel Cohen, Président de Zalis, Enseignant la gestion de crise à Science-Po et auteur du livre « Sauvez l’Entreprise » publié chez Eyrolles.

 

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On constate, régulièrement au début d’une crise, une phase de latence durant laquelle la stupéfaction et le déni retardent les prises de décision. Les dirigeants des pays les plus affectés par l’épidémie de Covid-19, y compris en Europe de l’Ouest, n’y font pas exception. Les deux principales causes sont la sous-estimation du risque, ainsi qu’un biais d’optimisme poussant à croire que son propre territoire sera une exception à la règle. Cette phase de latence est suivie par un temps de sidération, suite auquel une prise de conscience entière est enfin acquise. Alors que la crise suit des phases similaires dans tous les pays, la recherche de solution aboutit à des conclusions et mises en œuvre variables dépendant de la culture locale de chacun.

La désorganisation ambiante, due à la difficulté d’assignation des tâches parmi les dirigeants, met à mal leur capacité de prise de décisions. En attendant le retour à une organisation ordonnée, des décisions doivent être prises malgré l’environnement déstabilisé et le manque d’information disponible. Par conséquent, la prise d’initiative doit pouvoir se délocaliser et être diffusée vers la base afin de permettre aux agents sur le terrain d’utiliser les informations captées en temps réel. Les différences culturelles d’entreprise sont particulièrement visibles lors de cette étape. La construction salariale de la société regroupant entre autres son individualisme ou collectivisme, la distance hiérarchique et la capacité d’acceptation de l’incertitude, ont un impact sur les décisions clés prises. A titre d’exemple, les institutions d’Etat françaises ont une combinaison rare d’un niveau hiérarchique élevé et de comportements individualistes. Au niveau des gouvernements, s’ajoute le paramètre de gestion des ressources sous contraintes : les stocks de masques, chloroquine et autres médicaments sont limités et le réapprovisionnement est incertain.

Ce manque de préparation est principalement dû à la difficulté de gestion des événements à très faible probabilité d’occurrence et haute conséquence. Certaines ressources se sont réduites ces dernières années. Tout comme l’armée de l’air, passée de 100 000 personnes et 600 avions de combat à 30 000 personnes et 100 avions, les lits d’hôpitaux disponibles ont chuté. Bien qu’il soit difficile d’estimer les très faibles probabilités d’occurrence, le coût de préparation à de tels événements peut être bien moins élevé que le coût économique d’une situation non préparée. A titre d’exemple, la commande de masques faite par Roselyne Bachelot avait été très décriée alors qu’elle était correctement dimensionnée. L’anticipation et la préparation d’une crise sont donc toujours recommandées. Cela peut s’aborder dans une phase défensive qui vise à limiter la survenance de crises, mais également dans une phase offensive par l’établissement de plans de réactions.

Le langage choisi pour communiquer sur la situation joue un rôle tout aussi décisif dans la gestion de cette crise. Ainsi, la rhétorique de guerre utilisée dans le langage présidentiel fait prendre conscience de la gravité de la situation, bien que l’angoisse engendrée ait également des conséquences. L’importance du langage se vérifie par ailleurs dans les divergences de certains pays à parler de distanciation physique ou de distanciation sociale sachant que la portée de l’un et l’autre n’est pas comparable. La communication de crise mise en place par les gouvernants et représentants du système de santé permet de gagner la confiance des citoyens ou, au contraire, combler l’incertitude. Une communication claire et transparente, misant sur la diffusion de la vérité, aide toujours la confiance à reposer sur des bases solides. Ces bases se voient perturbées lorsque la communication est paternaliste, ou alambiquée. Une interprétation arrangeante de la situation par les différents pouvoirs fait naître un malaise grandissant dans la parole publique comme on a pu le voir au sujet de l’efficacité des masques ou encore dans la tenue des élections malgré les mesures prises le 14 février. Parallèlement, il est primordial d’évaluer en tout temps, et à tous les niveaux (citoyens, équipes médicales, gouvernants) trois bases fondamentales qui se résument à : comprendre, adhérer et agir. Il est question de subsidiarité, soit la responsabilisation des entités les plus concernées par le biais d’un discours transparent. En temps de crise, les mots ont une importance amplifiée, qu’il s’agisse de préparer mentalement ou d’atténuer les effets potentiellement traumatisants, ils doivent toujours être suivis de plans d’actions.

Enfin, il faut réfléchir au retour à la normalité, aux conséquences post traumatiques touchant aussi bien le personnel soignant qui aura vécu des périodes douloureuses que les familles qui ont subi des deuils sans pouvoir toujours accompagner leurs morts. À l’image des soldats au retour des missions de guerre, il faut réfléchir aux séquelles psychologiques sans négliger un facteur de résilience important qui est le soutien humain, malheureusement mis à mal par la distanciation sociale.